Jusqu'à ce que Richard Cypher sauve cette belle inconnue des griffes de ses poursuivants, il vivait paisiblement dans la forêt. Elle ne consent à lui dire que son nom : Kahlan. Mais lui sait déjà , au premier regard, qu'il ne pourra plus la quitter. Car désormais, le danger rôde en Hartland. Des créatures monstrueuses suivent les pas de l'étrangère. Seul Zedd, son ami le vieil ermite, peut lui venir en aide... en bouleversant son destin. Richard devra porter l'Épée de Vérité et s'opposer aux forces de Darken Rahl, le mage dictateur. Ainsi commence une extraordinaire quête à travers les ténèbres. Au nom de l'amour. A n'importe quel prix. (Quatrième de couverture - Ed. Bragelonne)
Nous y voilà enfin : nous attaquons l'un des plus grands succès de la fantasy de ces dernières années. Le moins que l'on puisse dire pour commencer, c'est qu'il y a de la lecture. Pour ce premier volume, La première leçon du sorcier, le grand format nous propose plus de 600 longues pages pour suivre les tribulations des deux héros, Richard et Kahlan.
Malheureusement, je ne commencerais pas par des lauriers. Pour un habitué de Fantasy, la platitude de l'ouverture laisse perplexe : un jeune homme, garde forestier, en sauvant une jeune fille pourchassée par des méchants, est appelé contre sa volonté à sauver le monde. Certes, ce n'est pas le premier cycle qui commence comme cela, ce ne sera pas le dernier, et de beaucoup de grandes épopées utilisent ce début traditionnel, comme La Roue du Temps. Cependant ici, la suite est inlassablement du même acabit. Très rapidement, les épisodes s'enchaînent sans réelles construction : les deux héros et leur compagnon, le vieux sorcier, Zedd, sont entraînés dans une sorte de road movie difficilement contrôlé, jusqu'aux territoires du Grand et Pas Gentil Méchant, de l'autre côté de la carte. Et la sensation désagréable que l'auteur écrit au fil de sa plume s'installe.
S'il n'y avait que ça, on pourrait occulter ce défaut. Mais ce n'est pas le seul. Le style, ou plutôt l'absence de style, tape très rapidement sur les nerfs. Les 630 pages ne sont qu'une succession de phrases courtes, brèves, sans ampleur, avec d'incessants retours à la ligne, parfois au bout d'une phrase. Une fois de temps en temps, c'est un effet de style ; systématiquement à toutes les pages, c'est un défaut de style. Et on peut difficilement accabler la traduction qui, sans être exceptionnelle, fait un peu ce qu'elle peut sans parler pas des répétitions de mots ou de formules que l'on retrouve sans au fil du texte... Combien de fois n'a-t-on pas envie de voir vraiment la tête de Richard "exploser", tellement elle avait "failli" le faire (au bas mot une vingtaine de fois, et sans doute plus).
Ajoutons des personnages assez largement stéréotypés : le héros costaud, beau et gentil (qui se passe la main dans les cheveux toutes les 10 pages), le méchant vraiment méchant, beau aussi, mais vraiment cruel aussi, holala, il mérite bien ce qu'il va lui arriver. Seuls les vieux échappent un tant soit peu à ce manque de créativité : on peut s'amuser à voir les interventions de Zedd.
Le plus dérangeant est en fait l'incalculable nombre de situations qui se veulent épiques et qui, soit, tombent invariablement à plat, soit sonnent parfaitement faux. Et nous retrouvons ici les clichés qu'on croyait définitivement disparus. Un exemple : la belle est prisonnière d'un méchant sbire costaud habillé en noir. La description suivante voit Richard, son épée dégainée, juché sur un rocher, sautant en hurlant et tenant son épée à bout de bras derrière lui, à la manière d'une hache. Et bien sûr, il tue le méchant en un coup : c'est l'occasion d'avoir bien le détail, dans un ralenti "matrixien", du broyage de crâne sous l'épée. Et ce n'est pas le seul exemple : de nombreuses répliques semblent avoir été entendues 100 fois, on n'échappe pas à la bataille de taverne, au vol sur dragon (qui prend des mimiques humaines, qui sourit, qui répond aimablement, bref tout à fait normal pour un dragon), etc...
Enfin, et là c'est un des traits uniques de l'écriture de Goodkind, le mérite de poser une grave question. L'idéologie est-elle soluble dans la Fantasy ? Il apporte une réponse sans détour : non. Non, quand le genre Fantasy semble s'y dissoudre. Bien que ce premier tome ne soit pas le plus marqué (parcourez les divers forums, et constatez à quel point les tomes 6 et 7, par exemple, peuvent faire peur), Goodkind associe bien trop fortement son univers à sa pensée pour que ce ne soit pas remarqué. Et là aussi, nous observons avec stupeur l'incroyable subtilité dont il fait preuve : le héros vient de Terre d'Ouest, pays où il fait bon vivre, protégé au début par sa frontière infranchissable. Le grand méchant vient de D'Hara, le pays le plus à l'Est de la carte. Sa capitale s'appelle... le Palais du Peuple. Son armée s'appelle... l'Armée du Peuple. Il envahit les... Contrées du Milieu, multitude d'Etats qui ne sont jamais d'accord entre eux, et dirigés par un Conseil... Et il se fait passer pour le plus grand pacifiste de la terre, alors qu'en fait, oui, son projet est de dominer le monde. Bref, vous l'aurez compris, le monde même de Goodkind est subordonné à ses idées. En soi, pourquoi pas, mais cela est tellement évident dans la première partie que cela gâche la lecture : car l'on est tenté dans ces conditions de tout réinterpréter. Cet aspect s'atténue au fur et à mesure du tome 1, mais reste toujours subtilement présent.
Et signalons pour finir l'alliance baroque, dans l'écriture, de passages ultra violents, à un point tel que cela en devient ridicule (pour les valeureux qui auront tenu 500 pages, un délire sado-masochiste vous attend pour 80 pages de folie) et des dialogues dignes de fanfictions lycéennes de 2nde ("Je t'aime ! Moi aussi, mais ce n'est pas possible entre nous ! (ah ! je pleure !) Bon, mais par contre on peut être amis ! Oh ! ce serait formidable (ah moi aussi je pleure !)" )
Et cela reste dommage car, soyons honnêtes, au milieu de ce marasme surnagent quelques idées, bien souvent mal exploitées. Si la plupart des fins de chapitre sont artificiellement suspensives ("et soudain..." ou presque !), certains passages parviennent, péniblement, à tisser une vraie tension dramatique. Le bestiaire mis en place dans ce tome 1 est diablement pauvre (2 ou 3 créatures, toujours les mêmes). La magie décrite, est ambivalente : assez originale pour un de ses aspects (magie Additive / Magie Soustractive), l'utilisation est bien trop classique (oh ! la boule de feu ! Oh ! l'aura bleue autour des mains...). Enfin, chaque volume est construit autour d'une leçon dispensée par le grand sorcier (d'où le titre du tome 1) : et le livre se veut l'illustration de cette leçon, dans une déclinaison intéressante du "thème et variation". Une construction originale et bien trouvée, on ne peut qu'espérer que ces "leçons" ne seront pas aussi marquées politiquement que le reste de l'univers de Goodkind.
Pourrait-on forcer le trait et dire qu'un des plus grand avantages du livre est que sa fin n'implique pas la lecture des tomes suivants ?
Quand j'aurai mon niveau 4 / J'achèterai un cheval / Je sais pas vraiment monter / Tant pis, ça m'est égal ("La vie d'aventurier" POC)
SierrElben, prochainement sur vos écrans !