Je vous ai déjà parlé à l'occasion du sujet dédié au Trône de Fer de ces volumes parus chez J'ai lu et intitulés Légendes de la Fantasy. Il s'agit de deux recueils de nouvelles demandées à tous les grands noms de la Fantasy, qui ont chacun délivré un bref récit prenant pour cadre leurs univers de référence. Vous pouvez y retrouver Robin Hobb, George R.R. Martin, Terry Brooks, Tad Williams et d'autres encore, et notamment Raymond E. Feist et ses gigantesques Chroniques de Krondor. Comme Chaodisiaque n'en avait pas encore parlé, c'est l'occasion ou jamais.
Le Messager, titre de la nouvelle de Feist prend place durant les années intermédiaires de la Guerre de la faille, le conflit majeur de l'univers de Krondor, celui que raconte le premier cycle de Feist, grâce auquel il a connu le succès. Comme avant chaque récit de cette anthologie, un bref résumé vous situe le paysage pour ceux qui auraient oublié de quoi il en retourne, ou tout simplement pour ceux qui n'ont jamais lu une ligne de l'auteur (c'est mon cas pour le coup).
L'action se passe dans le Royaume des Isles, partie du monde de Midkemia, assiégé par le peuple des Tsuranis, originaires de Kelewan, un autre monde qui communique avec le premier grâce à la fameuse "faille". Le Messager raconte l'aventure d'un jeune homme, Terrance, seize ans, recruté dans l'armée par souci d'honorer sa famille, qui compte dans ses rangs des ducs hauts placés dans le commandement militaire des Isles. Du fait de son jeune âge, de sa maigre corpulence mais de son habileté à cheval, il a intégré le corps des Messagers, rôle crucial pendant les conflits. L'hiver approche sur le champ de bataille, et chaque camp se prépare à se replier sur ses positions pour laisser passer la mauvaise saison. Terrance, au camp du comte Vandros dans l'arrière-pays, se voit confier la mission d'aller rendre visite aux trois campements avancés des barons Gruder, Moncrief et Summerville afin de leur transmettre l'ordre de repli défensif pour l'hiver.
Le court récit de soixante pages ne s'intéresse donc qu'au parcours du jeune homme à travers la forêt. Il devra atteindre ses objectifs le plus rapidement possible, tout en évitant les patrouilles Tsuranis et le froid mordant du début de l'hiver.
La Fantasy a l'habitude de décrire des conflits majeurs et de grandes batailles épiques. La nouvelle de Raymond E. Feist a l'intérêt de ne faire vivre la bataille que depuis les lignes arrières et le déplacement de Terrance entre les différents points du conflit. On ne voit pratiquement jamais d'affrontement en tant que tel, la tension de la nouvelle résidant dans l'état de santé vacillant du jeune homme, et la pression de plus en forte qui pèse sur ses épaules : on découvre en effet au fil du périple les différentes mouvements de troupes Tsuranis qui ont lieu en même temps, mais qu'aucune vue d'ensemble du champ de bataille ne permet de bien distinguer.
C'est donc à un traitement assez original d'une situation banale - la guerre entre deux ennemis irréductibles - que l'on assiste avec cette nouvelle. Aussi Feist nous présente-t-il l'univers de Krondor par le tout petit bout de la lorgnette. Le récit est efficace, vivant. On regrette un début assez brouillon (cela se voit très vite quand l'histoire ne fait que 60 pages) et parfois quelques répétitions dommageables voire une contradiction amusante (Terrance est trop jeune pour avoir à se raser, mais 3 pages plus loin on nous précise que la dernière fois qu'il a tenté de se laisser pousser la moustache, il a dû se raser pour éviter le ridicule) mais cela reste anecdotique.
Dans la position du lecteur novice dans l'univers de Feist, Le Messager remplit pour le mieux sa mission d'éveiller la curiosité du lecteur pour cet univers, même si, comme le veut le genre de la nouvelle, de nombreux points restent imprécis (qui sont les ennemis, pourquoi attaquent-ils, à quoi ressemblent-ils ?). Bref, ce type de récit pourrait en réalité se passer dans à peu près n'importe quel monde en conflit et il est dommage que la spécificité de l'univers de Krondor n'ait pas été mieux marquée. Il reste que Le Messager est un récit plaisant, lu rapidement mais agréablement. Pour les habitués de Feist qui n'auraient pas eu connaissance de ce texte, il est sans doute un bon moyen de voir Krondor d'un autre point de vue, sans la hauteur épique classique en fantasy. Pour les néophytes, si la nouvelle aurait peut-être pu mieux aiguiser notre intérêt, elle est bien loin de nous rebuter l'entrée dans son monde, en espérant que ce dernier garde les promesses de suspens que la nouvelle a su habilement mettre en place.
Vous pouvez retrouver Le Messager, traduit par Isabelle Pernot, dans le volume Légendes de la fantasy, tome 1, présenté par Robert Silverberg, éditions J'ai Lu.
Quand j'aurai mon niveau 4 / J'achèterai un cheval / Je sais pas vraiment monter / Tant pis, ça m'est égal ("La vie d'aventurier" POC)
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